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Les résultats de l'élection présidentielle en France en 2002 vus par l'extrême droite européenne
par Graeme Atkinson, traduction Jipé.
Les 16,86% obtenu par Le Pen au premier tour des élections présidentielles le 21 avril a créé un frisson d'excitation au sein du milieu néo-nazi européen et a été salué par le British National Party et par le Nationaldemokratische Partei Deutschlands (NPD) allemand. Le succès spectaculaire de Le Pen, qui l'a propulsé dans une compétition catastrophique avec Jacques Chirac a été considéré par de nombreux observateurs médiatiques et politiques comme un symbole d'un malaise plus large, principalement en Europe occidentale et qui se manifeste par un brutal virage à droite. En particulier, les journalistes et les commentateurs, dont la tâche habituelle n'est pas d'analyser et encore moins de surveiller l'extrême droite, ont annoncé à leur public que la percée de Le Pen était dans la droite ligne du succès remporté par d'autres partis d'extrême droite en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et en Scandinavie. Il y a un peu de vérité dans ce raccourci mais la réalité est loin d'être aussi simple qu'il a été dit car le caractère précis de ces partis n'a pas été correctement analysé. Ce qui est indiscutable, c'est que, ces dernières années, des partis avec un programme partiellement raciste, anti-immigrés, anti-demandeurs d'asile ont su créer un écho dans l'électorat, ce qui leur a permis de gagner des élections aux institutions parlementaires à différents niveaux, dans plusieurs pays. En Italie et en Autriche par exemple, des partis d'extrême droite ont réussi à s'implanter dans des gouvernements de coalition au cours des deux dernières années, alors qu'en Suisse, le parti du populiste Christophe Blocher dispose aussi de postes gouvernementaux. En Scandinavie aussi, des partis populistes et xénophobes ont eu un impact, particulièrement en Norvège et au Danemark Dans ce dernier pays, le Parti du Progrès de Carl Ivar Hagen s'est implanté encore plus fermement au firmament politique avec 14,6% aux élections générales de l'année dernière et soutient maintenant un nouveau gouvernement de droite tandis qu'au Danemark, le Parti du Peuple danois de Pia Kjaersgaard a obtenu 12% aux élections en novembre dernier. En Allemagne, la situation est plus variée. Après avoir atteint 12,9% au élections régionales dans le land de Saxe-Anhalt en 1998, le parti néo-nazi Deutsche Volsksunion de Gerhard Frey n'a pas été suffisamment solide pour présenter des candidats en avril. À la place, le Partei Rechtsstaalicher Offensive (PRO), parti populiste mené par le juge Ronald Schill et qui prône la "loi et l'ordre", s'est présenté sans être élu malgré un score de 19,4% aux élections locales à Hambourg. La situation en Hollande contraste avec ce que nous avons vu précédemment. La liste anti-musulmans (Liste Fortuyn) du défunt Pim Fortuyn a fait une percée considérable, recevant 34% des suffrages aux élections locales à Rotterdam en mars et a remporté XX% des suffrages aux élections législatives qui ont eu lieu en mai dernier. Bien évidemment, l'assassinat de Fortuyn a certainement dû de modifier les résultats. Par ailleurs, le Vlaams Blok est bien représenté dans la partie flamande de la Belgique où il a atteint 19,4% en juin 1999 aux élections législatives. Le fait que le BNP et le NPD se félicitent du résultat de Le Pen était prévisible. Cela démontre la capacité innée d'un fasciste viscéral à en reconnaître un autre. Leur soutien était aussi un effort pour s'auto-légitimer en s'associant au succès du FN, même si ce n'est absolument pas réciproque de la part de Le Pen. Au même moment, des formations d'extrême droite, victorieuses électoralement au Danemark, au Pays-Bas et même en Italie, prenaient leurs distances vis-à-vis de Le Pen. Par exemple, le parti de Pia Kjaersgaard a produit une déclaration dans laquelle il avouait qu'il avait délibérément refusé tout contact avec les partis d'extrême droite et qu'il n'avait aucun contact avec le chef du FPÖ Jörg Haider et encore moins avec Le Pen. Aux Pays-Bas, la Liste Fortuyn a soutenu une position identique déclarant qu'ils ne voulaient pas être associés à des personnes telles que Haider ou Le Pen. Dans ces deux cas, la réaction de rejet des deux partis semblent non seulement refléter le caractère populiste de ces partis qui sont apparus spontanément, issus de leurs propres circonstances et cultures nationales, mais il semblerait qu'ils aient été effrayés par le fait que la moindre association avec le FN pourrait leur faire perdre en légitimité. En effet, il est intéressant de noter qu'ils ont pu attaquer Le Pen et ses fascistes de manière si véhémente sans reconnaître que, par certains aspects tels que la loi et l'ordre, l'immigration et les demandeurs d'asile, ils ont des points communs. Or ils ne voient pas les contradictions de leur " antifascisme " raciste et répressif. La réaction de l'Alleanza Nazionale (AN) de Gianfranco Fini, qui siège au gouvernement de Silvio Berlusconi, a été elle aussi sulfureuse : "Il n'y a pas la moindre possibilité que nous collaborions avec le parti de Le Pen ou celui de Haider" a dit un porte parole de l'AN à Rome. Même en Autriche, la réponse du FPÖ a été ambiguë, Haider saluant tout d'abord le résultat de Le Pen comme une victoire pour la démocratie puis se rétractant ensuite en disant que toute alliance avec le FN serait impossible du fait des positions racistes de ce parti. Le dernier acte de Haider est la proposition de création d'un bloc électoral dans toute l'Union européenne intitulé "Nouvelle Europe". Ce bloc, dit-il, a un énorme potentiel au Danemark, en Hollande et en Italie. La France a été laissée en chemin quelque part dans le processus…Le seul parti ayant un certain succès qui a salué sans réserves le résultat de Le Pen fut, sans surprise, le Vlaams Blok, qui a déjà des liens étroits avec Le Pen et son rival Bruno Mégret, ainsi que des contacts avec le FPÖ. Les différentes réponses au tremblement de terre politique français du 21 avril montrent la nécessité de différencier clairement les nombreux partis ou blocs électoraux de droite, afin de déterminer s'ils sont ou non fascistes et si le FN est réellement typique du nouveau virage a droite en Europe occidentale. En tant que parti, ce n'est pas le cas, mais en tant qu'expression d'un sentiment parmi les électeurs, c'est certainement vrai. Ce sentiment exprime avant tout un mécontentement à l'encontre de la politique consensuelle qui a été menée dans la plupart des pays d'Europe de l'ouest depuis 1945 et dans laquelle les partis traditionnels se sont tellement fondus qu'ils sont devenus quasi identiques et incapables de proposer des alternatives. Des millions d'électeurs ont le sentiment que le système existant est fatigué et a besoin d'être secoué. Ces même électeurs qui ont abandonné les partis traditionnels, principalement la gauche parlementaire, ou ont le sentiment d'avoir été abandonnés par ces partis, ont d'autres préoccupations. Parmi les raisons profondes pour l'entrée fracassante de Le Pen au second tour (citées dans des journaux tels que Le Monde ou Libération) ont peut noter la sensation d'être exclu du processus politique, le sentiment d'une augmentation de la criminalité et partant de là, du " sentiment d'insécurité ", une opposition à des taxes élevées, une préoccupation face à un " laxisme moral ", la perte de souveraineté nationale et de la monnaie au profit de l'Union Européenne et un malaise a propos de l'immigration. Des analysse détaillées des électeurs de Le Pen ont révélé que 73% considèrent l'insécurité comme leur principale préoccupation contre 30% pour l'immigration. Ces facteurs qui ont probablement joué un rôle dans le taux d'abstention de 28,4% au premier tour ne sont pas limités à la France et peuvent se retrouver partout en Europe de l'Ouest. Cependant, et particulièrement aujourd'hui, il est important faire la différence entre les partis fascistes et les partis populistes. Ces divers partis comportent des similitudes, principalement de par leurs aspects démagogiques et racistes, mais aussi des différences importantes. Les nouveaux partis de droite protestataires tels ceux de Norvège, de Suisse, des Pays-Bas, du Danemark ou le PRO de Schill en Allemagne n'ont pas de bagage historique ou idéologique remarquable et ne font pas référence au fascisme. Ce simple fait les démarque des partis comme le BNP, le NPD, le VB, l'AN ou le FPÖ. De même manière, ils préfèrent l'ultralibéralisme au culte fasciste de l'État autoritaire et du corporatisme, le particularisme régional ou local aux notions de Nation fondée sur la race et acceptent totalement les principes de la démocratie parlementaire bien que prônant une répression digne d'un État fort afin d'en finir avec la "criminalité" et l'"insécurité", problèmes qu'ils lient à la présence d'immigrés ou de personnes de culture étrangère. Par essence, ces partis sont éclectiques, tirant leurs politiques du tourbillon des idées qui flottent dans la société. Les critiques et mécontentements populaires sont collectés et articulés afin d'apparaître comme la voix de l'électorat en colère. En même temps, ils répondent à de réelles préoccupations. Fortuyn, par exemple, n'avait pas grand-chose à dire sur la croissance économique des Pays-Bas mais a très bien communiqué sur le prix des logements. Et pour la majorité des gens, c'est ainsi que des facteurs économiques comme la PAC, le taux d'inflation, le PIB sont compris : Vais-je perdre mon emploi ? Vais-je être en mesure d'acheter une maison pour ma famille ? Ma ferme va-t-elle être réduite à la faillite ? Qui va empêcher mon appartement d'être cambriolé ? Ce sont des questions simples, des "micro-problèmes" qui doivent être énoncés et que les élites politiques ignorent. Les populistes qui arrivent à combiner une approche libérale sur certaines questions avec une position très dure sur la criminalité et l'immigration se présentent facilement comme des gens adaptés à un monde moderne en mutation mais en phase avec les inquiétudes de ceux qui subissent ces mutations. Les fascistes, quant à eux, sont généralement perçus comme dogmatiques, dépassés, racistes et antisémites d'une manière qui est socialement inacceptable et historiquement entachée de sang Un résultat clé de ce processus est que le populisme, qui tend habituellement à être un phénomène protestataire temporaire, focalisé sur un seul problème, a commencé à devenir un élément plus permanent dans le paysage politique, précisément à cause de l'inexorable dérive de la droite et de la gauche traditionnelles vers le centre, et du fait que les partis de gauche avec de nombreux membres ont abandonné l'idée de faire campagne activement dans les communautés et ont préféré le marketing politique. Pour des partis tels que les néo-nazis du BNP ou du NPD, pour les fascistes du FN ou du VB, pour les autoproclamés "post-fascistes" de l'AN ou pour ceux, comme Haider, dont l'intégralité du cadre de référence dérive du national-socialisme historique, il y a peu d'espoir de coopération à long terme avec ces forces grandissantes à droite, ou même d'adaptation à elles. Cela impose un réel effort de réflexion aux antifascistes. Ces "nouvelles" forces doivent être combattues aussi vigoureusement que les fascistes violents qui se battent pour survivre mais ce combat ne va pas être si simple. Les "nouvelles" forces sont promptes à se séparer des criminels qui infestent le milieu fasciste et qui essayent d'infiltrer leurs rangs. Leur idéologie est elle aussi difficile à contrecarrer, précisément parce que leurs programmes sont largement composés de morceaux de toutes les revendications plus ou moins à la mode. En ce sens, elles sont des cibles en mouvement permanent. En même temps, l'opposition à cette " droite d'un genre nouveau " ne signifie pas que le type de fascistes auquel nous sommes habitués va disparaître ni non plus empêcher qu'ils obtiennent des succès localement comme à Burnley, ou en France d'ailleurs. Au contraire, le fait qu'ils soient redondants (d'un point de vue strictement historique) signifie que leur combat pour survivre va n'en être que plus féroce et va chercher à atteindre les segments de la société les plus menacés, ceux qui ont été abandonnés le plus brutalement par la désindustrialisation : l'ancien électorat de gauche. Les signaux d'alarme peuvent être vus en France : Le Pen a obtenu 26% du vote ouvrier et Robert Hue, le candidat du PCF seulement 5,3% alors que les candidats trotskistes Arlette Laguiller et Olivier Besancenot ont atteint respectivement 9,9% et 3,2%. En d'autres termes, une situation dangereuse qui semblerait confirmer la prétention de l'extrême droite à représenter une voix radicale d'opposition. C'est cette partie de la population, traditionnellement ancrée à gauche qui est la plus vulnérable face aux arguments des fascistes " traditionnels " ainsi que de la nouvelle droite électorale populiste, qui se voient comme remplaçants de la gauche et comme la principale alternative politique aux élites gouvernantes. La compréhension du message politique dispensé par ces partis sera crucial pour bâtir la réponse antifasciste massive nécessaire à les défaire. Bien que des manifestations de masse comme celles du 1er mai puissent être un bon point de départ pour des campagnes visant à combattre les fascistes ou les populistes, la bataille à long terme demandera bien plus que des manifestations d'indignation morale. Diminuer leur soutien demandera un travail réel et consistent sur le terrain, dans les communautés, au travail, dans les lieux de culture populaire afin de reprendre le territoire perdu au profit des fascistes et de populistes. Généralement, ce fut toujours plus facile de mobiliser pour de grandes manifestations… Mais à cause de son caractère vague, il y a peu de chance que de telles mobilisations aient lieu au cours du combat contre les populistes. Dans les pays où ces derniers ont fait de considérables percées, il y a peu de preuves de mobilisations, ce qui souligne encore plus le besoin de développer de nouvelles tactiques face à cette indéniable menace venue de droite. |
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